Vendredi soir, rompu, par le déroulement des jours d’une semaine dantesque, dont il serait encore possible d’atténuer les effets, par l’abus de vins locaux ou de liqueurs aromatiques, bocks partagés dans la chaleur de l’amitié, où l’on s’oublie parfois, en même temps que sa peine…
Folle idée du Houblon !
Car il ne sait pas, lui, qu’une ressource gît ailleurs, aux creux des matins encore humides, de ces matins qui refusent aux nuages, mêmes les plus timides, le moindre accès, car ils viendraient perturber l’harmonie de la voûte céleste, soigneusement immaculée, et délicatement éclairée par l’aube naissante.
Car il ne sait pas non plus, que cette ressource-là, attend de nous l’alignement parfait de nos pupilles, l’oeil alerte et la main sure, pour étreindre sans hésitation (illusoire ?), les commandes du mouvement méta-physique (je veux dire poétique !), qui entraînera notre destin d’un jour.
Capiteux Houblon, qui embrume les esprits et allège nos angoisses, certains vendredi soir je ne veux pas de Toi ! Et te préfère l’idée prochaine d’une chimère volante, dont les promesses me sont exquises… Quelle nuit d’impatience !
Au petit matin, tout semble permis, ainsi que l’oracle Haut-rôt-logique l’avait prédit. Plus tôt qu’escompté – car je trépigne d’impatience – je me trouve sur l’aire de lancement de toutes les promesses, aux heures où jamais aucun travail ne m’a vu paraître. Il est des coins du jour où l’on ne se montre, que pour certaines Causes…
Ce jour là, le secret est encore de Polichinelle: un groupe de skieurs, non pilotes, s’apprête à embarquer, en hélicoptère vers les 2 Alpes, entièrement harnachés, déjà prêts pour la téléportation vers le monde adjacent qui les attend.
Moi aussi – quoique ma tenue de ville ne laisse rien transparaître; moi aussi, me dis-je en pensée, m’apprête au voyage. Je quitterai l’ici-là, pour un ailleurs là-bas, et dans l’entre-deux, dans l’intervalle suspendu, n’attendrai rien de moins, que la rémission du quotidien et de ses angoisses, brutalement ramenés à l’échelle de ce qu’ils sont: un détail dans l’existence… Neutralisant le vécu inflationniste des misères érosives, le Petit Cessna nous amènera voguer en d’autres mers de l’âme, vague-à-l-âme à la rigueur, pour finalement accoster d’autres rivages, ici ou là qu’importe, puisqu’ils seront surtout ceux de l’émerveillement. Heureux qui comme Ulysse…
Rien de tel qu’un compagnon, pour goûter cette Magie blanche. Devançant le rendez-vous, lui aussi, comment ne pas imaginer qu’il partage mon impatience ?
A la méthode, laissons la portion congrue ! Nous avons dit au hasard: Aix – Valence – Annecy – Gap – Aix. Ciel bleu. Pistes ouvertes. Les réservoirs sont pleins. Il suffit !
N’amputons pas la poésie, en lui greffant d’insupportables considérations techniques ! Résistons pour une fois, à cette idée qu’elles nous permettraient de garder le contrôle ! Nous embarquons pour dé-raisonner, dé-compartimenter, dé-faire, dé-gonfler… dé-coller…
Nous volons !
Une chose merveilleuse survient, lorsqu’on prend la voie des airs, au petit matin clair: le silence sur la fréquence, et l’absence complète, presque irréelle, de turbulence. On se déplace dans l’air d’un seul mouvement fluide, celui-ci nous porte avec une incomparable douceur. Sensation de rêve, qui évoque en fait la nuit.
Cap Nord Nord-Ouest sur la centrale atomique, bon point de repère pour atteindre Valence. Longue descente calculée à l’improviste par la seule intuition du pilote, nous nous établissons face à la piste, qui ne pourra plus nous échapper. Le vent décroît, décroît encore, notre hauteur diminue… « 3 », il reste encore à profiter, « 2 », tiens voilà notre ombre, « 1 », c’est presque fait. Délicatement posés, notre vitesse nous entraîne, nous roulons…

Photo issue d’un autre voyage, et nous remercions la photographe…
10 minutes plus tard, à nouveau en l’air !
Toujours personne en vue, mais cela discute sur les ondes. Bruissement continu de la radiophonie, nous avançons, et le relief commence à dessiner à la Terre des formes, douces ou tranchantes. De la brume peine à s’évaporer, traversons.
Ca se réchauffe, l’air s’assèche, et un grand ciel bleu Alpin se déploie face à nous. Puis – est-ce une hallucination ? – un immense oiseau de voyage, perché sur une branche d’où il nous tutoie, entame son virage, battement d’aile que nous recevons comme un salut.

Le Grand frère Boeing
Annecy !
Amené à croiser haut, où la rêverie nous a entraînés, nous nous laissons délicatement tomber, vers la nouvelle bande d’asphalte prête à nous accueillir. « 3 », cela se présente bien, « 2 », je continue, « 1 » je m’applique…

En bonne voie vers Annecy
Contact. Nous roulons… En même temps que je suis l’inertie du mouvement du Petit Cessna – pas tout à fait posé mon esprit – je porte mon regard sur le bas côté, et y aperçoit (nouvelle hallucination ?), un renard, tapi dans l’herbe, qui nous regarde filer.
Alors, comment dans ces circonstances, pourrais-je interrompe mon délire, quand tout laisse à croire que le Petit Prince est de sortie… ? Le monde de merveilles que nous venons juste de quitter, place la rencontre avec le renard sous le signe de l’évidence naturelle, plutôt que celui de l’étonnement; celui-ci ne se manifesterait que quelques minutes plus tard, avec l’arrêt du moteur…
Un renard ! Au bord de la piste ! Et je me mets à espérer: si seulement il me revenait, plus tard, par la voie(x) des rêves…?
Et ce n’est pas fini ! Voilà une procession de canards géants à présents ! Ou est-ce des champignons hallucinogènes ? Il ne manque plus que la Danse Chinoise de Tchaïkovski !

Fantasia, ou le défilé des canards à hélices
Plus de hauteur.
Il nous faut plus de hauteur, car nous allons mordre les Alpes. Et on ne se rend pas d’Annecy à Gap, comme on se rend de Bruges à Gand.
Nous réfléchissons: nous pourrions viser le lac du Bourget, longer Chambéry, puis obliquer légèrement vers le Sud, après quelques minutes, en direction de Grenoble. Mais cela ne sera pas suffisant, car la carte ne nous montre aucune vallée assez accueillante pour filer jusqu’à Gap. Alors nous pourrions monter, nous élever au delà des parois granitiques, et faire de ce relief un impressionnant tapis, au dessus duquel nous voyagerons. C’est acquis, nous retenons le niveau 105 pour traverser cette petite portion des Alpes.
Une fois là-haut… Quel spectacle !

A couper le souffle !
Quelle démonstration splendide, ces montagnes enneigées aux reflets brillants ! Puissance immuable qui s’érige sous nos pieds. Nous nous déplaçons timidement, lentement, impressionnés par elles, qui semblent s’étendre sans limite, aux confins de notre champs de vision. Insolents compagnons de voyage, les nuages jusque-là interdits, se manifestent sous la forme discrète d’humbles cumulus coiffant les cîmes, si frêles qu’ils ressemblent à une étoffe fine et diaphane. Nous faufilons.

Incartade nuageuse
Et la carte défile !
Nous ne pouvons pas rester ainsi perchés éternellement. Dans une nouvelle vallée, au Nord de Gap, nous nous laissons à nouveau retomber, cherchant pour point de chute une courte piste encaissée, qui pour être atteinte, nécessite de « survoler la petite maison au toit rouge, au bord de la falaise ». Tout un mo(n)de d’emploi !
A nouveau, l’élan fantastique que nous avons pris, depuis notre départ d’Annecy, survolant les Alpes, puis plongeant dans une vallée inconnue, s’amortit en quelques centaines de mètres… 2 ou 3 centaines seulement, suffisent à arrêter notre course au sol, qui se termine cette fois-ci, au restaurant Le Looping.
45 minutes plus tard.
Toutes bielles dehors, arbre à cames frénétiques, chaque aiguille instrumentale tangentant la ligne rouge, l’huile bouillonnante pulvérisée dans les recoins du carter moteur, nous élançons le Petit Cessna dans les airs. Encore une fois.
Montée vers notre altitude de croisière, puis descente continue vers le bercail, avec une brise de mer bien établie: les rayons du soleil ont fait leur office, et réchauffé la Terre.
Tenons l’axe, dont la brise nous éloigne par à-coups, posons, sans douceur, fermement, comme si ce léger tremblement avait été nécessaire, pour nous faire redescendre des étoiles.
D’autres l’auraient interprété autrement !
Rien de tout cela n’aurait été possible sans l’aide d’Alban…