Une bulle de sens

Par une journée grisonnante de début d’automne, c’est vers un ciel voilé que nous avons pointé le nez, en direction d’un proche aérodrome Vauclusien, où nous voulions casser la croûte.

Aujourd’hui pour la première fois depuis longtemps, j’allais monter dans un avion autre que mon fidèle Cessna, sur lequel j’ai accumulé les 250 dernières heures de vol. Autant dire que les atavismes du 182 seraient bien en tête, pour les comparer aux comportements du nouvel engin !
Aujourd’hui donc, le ND resterait à son port d’attache, au profit d’une nouvelle monture, que Jérôme avait promis de me faire essayer depuis… Depuis trop longtemps !

N321YH

Lorsque tu es arrivé, Jérôme, j’ai reconnu dans ton sillage, le cortège de bonhommie qui ne te quitte jamais. Et ce n’était pas seulement le pilote de PA-32 que je voyais paraître, mais le camarade-de-vol, le camarade-de-casse-dalle, et surtout, le camarade de rêves, de machines volantes et d’aventures aériennes. Et cela, et bien, il faut le dire, ça tient chaud l’hiver, ça rend fraternel, ça lie face aux aléas, avant même de monter dans un quelconque avion. Ca fait qu’on se sent un peu en famille, on se met spontanément à parler la même langue, une langue qu’on garde bien pour nous dans la vie de tous les jours parce qu’elle n’intéresserait pas le néophyte qui n’y comprend que couic. Alors on s’abandonne au plaisir d’évoquer entre connaisseurs, l’effets des raffinements aérodynamiques, des turbocompresseurs, des parois en titane micro-perforées et des canalisations d’oxygène qui courent dans la carlingue. Ah quel bonheur ! d’utiliser ce jargon pour désigner tout le fabuleux attirail technique capable de nous arracher au sol… Et de nous suspendre en l’air.

Pré-vol accomplie, nous prenons place à bord du cockpit du Saratoga. Le capot avant parait démesurément long, sous lequel sont dissimulés les 6 pistons et les 3-0-0 et quelques chevaux qui nous tracteront dans les airs… La mise en route est efficace, et le moteur tourne rond à bas régime. Le volume sonore en cabine parait étonnement faible. Est-ce l’isolement du cockpit ? Ou l’éloignement du moteur, séparé de la cabine par une soute à bagage ingénieusement placée? Le roulage est obtenu, avec un départ omnidirectionnel 32. Les essais moteurs accomplis, nous nous alignons, mettons en puissance jusqu’à 35 pouces d’admission. L’accélération est franche, la roulette de nez allégée à 65kt, rotation pas avant 75kt. Une fois en l’air et le train rentré, la montée se stabilise entre 90 et 100 kt. Après réduction de la puissance à 30″, on conserve un taux de montée autour de 700 ft/minutes. Mais la surprise vient de la particulière douceur en cabine, les turbulences étant remarquablement bien absorbées par les ailes et la cellule. Comme amorties en comparaison avec le 182, sans doute un peu plus sec. Une montée vers 5000ft est effectuée, puis la vitesse se stabilise à 135kt indiqués, pour une PA d’environ 28″. La consommation s’établit autour de 19gph avant mixturage, puis diminue vers 15gph une fois mixturé en respectant l’ITT. Une directe sur CV est accordée. Début de descente dans la foulée, le terrain me semble arriver plus vite qu’à l’accoutumée… Notre vitesse sol est supérieure à 180kt ! Passage de la balise, éloignement 7nm au 004°, puis virage de procédure par la gauche pour intercepter l’ILS 17. Nous arrivons à 100kt en finale, ralentissons vers 80kt avant le toucher, ferme, et dégageons vers le parking et le restaurant italien attenant, Mamma Mia.

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Nous avons repéré deux ainés sur le tarmac: un Citation XLS et un Gulfstream, un G-V apprendrons-nous plus tard, par la dame du handling. Lequel Gulfstream, dont nous avons suivi l’interminable accélération avant l’envol, faisait un trajet direct Avignon – Tertoboro, New Jersey, juste au Nord de New York ! Avignon – New York, bien sûr il fallait y penser… et le Gulfstream le permet !

A table, nous devisons autour d’un plat de pâtes et de nos vies respectives. Quel meilleur endroit que le bord d’une piste d’avion pour faire cela ? Nous arrivons pour repartir. Nous sommes en transit. La piste nous a accueilli, elle nous laissera nous envoler à nouveau. Nous restons prêts d’elle, annexés, dans une bulle, où notre discussion s’épanouit car elle restera dans nos mémoires, entourée d’air et de nuages. Une discussion où l’improbable peut jaillir à tout instant: et si nous faisions un jour la transatlantique par la route Nord, par le Groenland ? Alors on se met à rêver, avant un jour, peut-être, oser…

Le vol retour sera organisé par le contrôleur autour de la patrouille de France, que nous n’avons pas vu. Nous recevons d’improbables caps pour un retour sur Aix, et sommes contraints de monter au FL70. A 5000t nous passons en IMC, avant de ressortir 1000 ft plus haut dans le grand bleu. Quelles sensations magiques. D’abord de se faire happer, sans bruit, par le nuage qui nous dérobe toute visibilité et nous accueille dans son blanc sein, sans même une turbulence. Nos instruments nous disent que nous montons, et quelques minutes plus tard, sans prévenir, du blanc nous passons au bleu, sans transition, brutalement. Le bleu du ciel sur 360° alors que nous étions l’instant d’avant dans du coton. En un instant, tout change. Rien qu’un instant et nos hypothèses instrumentales, se transforment en une réalité d’une beauté envahissante. C’est je crois là, que se loge la joie de l’IFR.

Une fois atterri à Aix, nous redescendons sur Terre. Mais la discussion se poursuit, car il nous reste à comparer nos moyens pour déposer les plans de vols. Nous comparons ces outils, les briefings, leur pertinence opérationnelle. Avec un nouveau jargon aéro-informatique, nous prolongeons notre plaisir de l’aviation, dont nous parcourons les dédales ramifiés avec enchantement.

L’aviation est un enchantement. Ce qu’elle nous apporte, rien d’autre ne peut y prétendre. Elle lie les hommes, les rend plus humbles et plus géographes. Plus rêveurs aussi. Elle fait relativiser le poids de l’existence et lui donne un sens, le temps d’un vol. C’est une bulle qui donne du sens. Des bulles qui donnent du sens, vous en connaissez beaucoup ?

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